Il y a sept ans, soit un an avant l’apparition de Donnetamusique dans l’univers Web francophone, Seth Godin, spécialiste en marketing et DIY, mettait sur papier, une longue réflexion sur l’industrie de la musique.
L’auteur m’a fait cadeau et j’ai eu l’honneur de présenter ce texte, traduis en français, comme préface à mon livre Quatre ans de réflexions et de stratégies musicales. Exclusivement disponible sur papier, je le partage ici pour la première fois.
Ce texte aurait qui aurait pu être écrit hier, saura vous influencer pour vos décisions de demain.
Bonne lecture!
Photo: Impression vinyle du livre The Icarus Deception par Seth Godin
Les leçons de musiqueÂ
Ce que vous pouvez apprendre de l’industrie de la musique (au moment où elle tombe en morceaux). La première règle est si importante, que c’est la règle 0 :
0. La nouveauté n’est jamais aussi bonne que les vieilles choses, du moins pour le moment
Bientôt, le nouveau sera meilleur que l’ancien. Mais si vous attendez jusque-là , il sera trop tard. Vous pouvez constamment être nostalgique du passé et vouloir étirer la sauce, mais ne vous trompez pas en croyant que cela durera toujours. Ce ne sera pas le cas.
1. La performance passée n’est pas la garantie d’un succès futur
Toutes les industries changent et, finalement, disparaissent. Ce n’est pas parce qu’hier vous faisiez de l’argent en faisant quelque chose d’une certaine façon, qu’il faut croire que vous réussirez à en faire demain.
L’industrie de la musique a connu une évolution spectaculaire avec les baby-boomers. À commencer par les Beatles et Dylan ; ils n’arrêtaient pas de faire de l’argent. L’augmentation du pouvoir d’achat des adolescents et l’évolution des mÅ“urs sociales au moment de la naissance du rock et de l’invention de la radio, ont permis de générer une longue, longue courbe de croissance.
L’industrie de la musique a alors construit d’énormes systèmes. D’importantes organisations ont vu le jour : les magasins spécialisés, les produits dérivés, les tournées, (MTV et bien plus encore), dégageant des marges bénéficiaires extrêmement élevées. C’était un système bien huilé, mais la question clé est : est-ce qu’il mérite de durer éternellement?
Non. Bien, vous non plus.
2. La protection contre la copie à l’ère numérique est un rêve utopique
Si le produit que vous faites devient numérique, soyez prêts à ce que celui-ci soit copié.
Il y a un paradoxe dans le business de la musique qui se reflète dans de nombreuses industries : vous voulez ubiquité et renommée, mais pensez que la distribution numérique dévalue votre produit.
Rappelez-vous, c’est l’industrie de la musique qui a créé des ennuis avec la corruption de disc-jockeys payés pour jouer de la musique à la radio. La même qui a dépensé des millions pour faire des vidéos (gratuites) pour MTV. Et une fois que la retransmission est devenue numérique, ils ont compris qu’il n’y avait plus vraiment de raisons d’acheter une version numérique (via un processus coûteux et encombrant) quand celle-ci est devenue libre et gratuite (plus facile aussi).
La plupart des objets de valeur le sont car ils sont rares. Le digital a changé cela et la valeur peut maintenant venir de l’ubiquité.
La solution n’est pas d’essayer de devenir en quelque sorte obscure, pour que votre chanson joue à la radio numérique. La solution est de changer votre modèle d’affaires.
Avant, vous vendiez du plastique et du vinyle. Maintenant, vous pouvez vendre de l’interactivité et des souvenirs.
3. L’interactivité ne peut pas être copiée
Les produits numériques et interactifs se développent autour d’un point central et grandissent au fur et à mesure que la taille de leur marché augmente (Facebook ou Basecamp).
La musique est sociale. Elle est en perpétuelle évolution. Et surtout, la musique a besoin de musiciens. Les lauréats de l’industrie de la musique de demain sont les individus et les organisations qui créent des communautés, relient les gens, propagent les idées et agissent comme le moyeu de la roue … indispensables et bien rémunérés.
4. L’autorisation est l’atout de l’avenir
Pendant des générations, les entreprises n’ont eu aucune idée de qui étaient les consommateurs finaux de leurs produits. Aucune possibilité de savoir à travers les magasins de disques, qui achetait cet album des Rolling Stones, aucun moyen de connaître l’acheteur de ce livre ou de ce vase.
Aujourd’hui, bien sûr, l’autorisation est un atout qui se mérite. La capacité (pas le droit, mais le privilège) de livrer des messages personnels et pertinents à des gens qui veulent les recevoir. Depuis dix ans, l’industrie de la musique a fermement évité cette possibilité.
C’est intéressant, cependant, car de nombreux musiciens n’ont PAS évité ceci. Beaucoup d’entre eux ont compris que tout ce dont ils ont besoin pour gagner (très bien) leur vie c’est d’avoir 10 000 fans. 10 000 personnes qui ont hâte au prochain enregistrement, qui sont prêts à se déplacer au prochain concert. Ajoutez 7 fans par jour et en 5 ans vous y serez. Vous en vivrez. Une vie à faire de la musique pour vos fans et non à trouver des fans pour votre musique.
L’opportunité de la distribution numérique est la suivante:
Quand vous pouvez distribuer quelque chose numériquement et gratuitement, ça se propagera (si c’est bon). Si ça se répand, vous pouvez l’utiliser comme un moyen pour faire revenir les gens vers vous, les amener à s’inscrire à votre liste de courriels par exemple, vous donnant ainsi l’autorisation d’interagir avec eux, de les tenir informés et de les fidéliser.De nombreux auteurs (dont je fais partie) ont réussi à construire une carrière entière autour de cette idée. Certains consultants de gestion et les vendeurs d’assurance, l’ont aussi utilisée ; en regardant la propagation numérique comme une tactique au cÅ“ur de leur nouvelle entreprise et plutôt que comme un inconvénient.
5. Un consommateur effrayé n’est pas un consommateur heureux
Je ne devrais pas avoir à dire ceci, mais voilà : poursuivre en justice, c’est comme aller à la guerre. Si vous entrer en guerre avec des dizaines de milliers de vos clients chaque année, ne soyez pas surpris s’ils commencent à vous traiter comme un ennemi.
6. Il s’agit d’une des grandes vérités : le meilleur moment pour changer votre modèle d’affaires c’est quand vous avez encore de l’élan
Ce n’est pas si facile pour un artiste inconnu de partir de zéro et de se construire une carrière. Pas facile non plus de trouver les fans un par un et de constituer son public. Mais c’est très, très facile pour un label ou une vedette de le faire. Il faut saisir le moment présent car demain il sera trop tard. Mettez-vous au travail tout de suite.
7. Rappelez-vous la règle de Bob Dylan : ce n’est pas seulement un album, c’est un mouvement
Bob et son équipe ont une longue expérience dans la recherche de mouvements. Les mouvements anti-guerre, certes, mais aussi des films sur le rock, le Grateful Dead, SACD, Christian rock et fanboys d’Apple. Ce que Bob a fait (et je pense qu’il l’a fait avec sincérité, et non pas comme une manÅ“uvre calculée) c’est qu’il a recherché des groupes voulant être connectés et il a travaillé à devenir leur point de ralliement.
En étant ouvert à des choix de plateformes de diffusion, des points de vue, à différents courants dans le temps, Bob Dylan n’a jamais dit : «Je fais des disques vinyles qui coûtent de l’argent à écouter. » Il a compris qu’à un certain stade, la musique est souvent la bande-sonore pour autre chose associée à nos vies.
Je pense que la même chose peut être vraie pour les chefs, les églises, les organisations caritatives, les politiciens et les fabricants de produit médicaux. Les gens paient une prime pour une histoire, à chaque fois.
8. Ne paniquez pas quand le nouveau modèle d’affaires n’est pas aussi bon que l’ancien
Ce n’est pas facile d’abandonner l’idée de fabriquer des CD avec une marge brute de 90% de profit et de passer à un modèle mixte de concerts, de produits dérivés, de communautés, de cartes de vÅ“ux et événements spéciaux, qui semblent des trucs gadgets. Je sais. Mais passez par-dessus ça. C’est la seule option si vous voulez rester dans le business de la musique. Vous n’allez tout simplement pas vendre beaucoup de disques en cinq ans.
S’il reste encore un business ici, les premiers à y entrer trouveront la solution, les autres perdront tout.
9. Lisez l’écriture sur le mur
Hé, les gars, je ne suis pas dans le business de la musique, même si j’ai écrit à propos de celle-ci pendant des années. J’ai même commencé une compagnie de disques il y a cinq ans pour faire le point. Les industries ne meurent pas par surprise. Ce n’est pas comme si tu ne savais pas que la mort allait venir. C’est ne pas comme si tu ne savais pas qui appeler (ou embaucher). Ceci n’a rien avoir avec avoir une bonne idée (ce n’est presque jamais le cas). Les grandes idées sont là , gratuitement, dans le blog de votre quartier. Il s’agit uniquement de prendre l’initiative et faire bouger les choses.
La dernière personne qui quittera l’industrie du disque actuelle ne sera ni la plus intelligente ni celle qui aura eu le plus de succès. Être le premier à partir et à créer un nouveau modèle économique est presque toujours payant.
10. Ne pas abandonner la théorie du Long Tail
Tout le monde dans l’industrie du hit (des numéros un) pense qu’il comprend le secret : il suffit de faire des hits. Après tout, si vous faites le calcul, il est démontré que si vous ne faites que des hits, vous serez le roi de la cité.
Bien sûr, plus vous essayez de faire uniquement des hits, moins vous avez de chances de faire des hits. Films, disques, livres … les superproductions semblent toujours être des surprises ou des erreurs de parcours.
Au lieu de cela, à une époque où il est moins cher que jamais de concevoir quelque chose, de créer quelque chose, d’apporter quelque chose de nouveau sur le marché, la stratégie intelligente est d’avoir une stratégie stupide. Gardez vos coûts bas et allez avec vos instincts, même quand tout le monde dit que vous avez tort. Faites un bon travail, mais pas un excellent travail. Apportez des choses au marché, le bon marché, et laissez-les trouver leur public.
Rester là , à tricoter, n’a jamais été une si mauvaise idée. Au lieu de cela, trouvez des produits que vos clients veulent. Il ne faut pas les sous-estimer. Ils sont plus fervents à la nouveauté que vous ne l’imaginez.
11. Comprendre le pouvoir du numérique
Essayez d’imaginer quelque chose comme ceci qui va se passer dans dix ans : un enfant de onze ans, se réveille un samedi matin, reçoit son argent de poche, puis, debout dans son pyjama, achète une chanson de Bon Jovi pour un dollar.
Maintenant, comparez ça à conduire au centre commercial, trouver l’album en question, trouver les 14 $ à payer et retourner à maison.Vous pouvez croire que votre entreprise n’est pas prête à réaliser des transactions numériques. Beaucoup ont le même discours. Si vous avez une entreprise qui ne performe pas dans le marché numérique, les résultats pourraient ne pas croître aussi vite que vous le souhaitez… Peut-être que vous avez besoin de trouver une entreprise qui prospère dans le monde numérique.
12. La célébrité est sous-estimée
L’industrie de la musique a toujours créé des célébrités. Et chaque célébrité a bénéficié pendant des décennies de cette renommée. Frank Sinatra et Elvis sont morts et ils font toujours de l’argent avec eux.
L’industrie de la musique a fait un mauvais travail en ne tirant pas plus de profits et de valeur des célébrités. De nombreuses entreprises ont maintenant le pouvoir de créer leurs propres micro-célébrités. Ces personnes peuvent capter l’attention et susciter la confiance, deux éléments essentiels à la croissance des bénéfices.
13. La valeur est créée lorsque vous passez d’un grand nombre à quelques-uns, et vice-versa
L’industrie de la musique a des milliers d’étiquettes et des dizaines de milliers de détenteurs de droits d’auteur. C’est un gâchis. Et il y a juste un magasin de musique iTunes. La consolidation paie. Dans le même temps, il y a d’autres secteurs où il y a seulement quelques acteurs majeurs et la façon de tirer profit est de créer des marchés niches.
14. Chaque fois que c’est possible, optez pour des abonnements
Peu d’entreprises peuvent réussir à vendre des abonnements (les magazines étant le meilleur exemple), mais quand vous le pouvez, ça change la donne. HBO, par exemple, est capable de dépenser son argent en faisant des nouvelles émissions plutôt que de travailler à trouver des nouveaux téléspectateurs pour chaque émission.
La plus grande opportunité pour l’industrie de la musique est de combiner autorisation et abonnement. Les possibilités sont infinies. Et je sais que c’est dur à croire, mais les bons vieux jours sont encore à venir.
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Que de belles idées et perspectives, merci! Super article.
Ma préférée, « Avant, vous vendiez du plastique et du vinyle. Maintenant, vous pouvez vendre de l’interactivité et des souvenirs »