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La musique ne doit pas mourir sur un disque dur
Marc-André Laporte comment 3 Comments

Je ne parle pas de Mellon Collie and the Infinite Sadness des Smashing Pumpkins téléchargé en 128 kbps alors de la belle époque de Kazaa. Prenons une minute pour se rappeler combien de temps ça pouvait prendre pour y arriver.

Vous vous en douterez, ce texte n’est pas destiné aux consommateurs de musique. De toute façon, ils ont de moins en moins de musique sur leur disque dur. La possession ne les intéresse plus. C’est moins encombrant, moins poussiéreux, les risques que ça saute sont minimes. (Si vous ne connaissez pas encore la solution, le dernier point se règle avec de la pâte à dents.)

Je m’adresse aux musiciens, aux auteurs, aux créateurs. À ceux qui débutent comme à ceux qui sont sur leurs derniers miles, épuisés par une industrie qui cherche aujourd’hui ses repères ou bien par l’accumulation de soirs de scotchs depuis deux ou trois décénnies.

Nous avons tous un processus de création. Les processus sont donc nombreux, et souvent différents, mais oh combien similaires sur un certain point: nous travaillons de notre mieux pour livrer le meilleur produit final. Parfois nous y arrivons en une heure, parfois en une vie. Un processus compte différentes étapes, différents brouillons, différentes oeuvres avant d’arriver à la finale.

Voilà où je veux en venir:

La musique ne devrait pas mourir sur un disque dur.

Je crains l’intangibilité des données sur un ordinateur. La facilité avec laquelle tout ceci peut disparaitre. Je trouve aussi triste de voir toute cette musique non-parfaite ou non-assumée tranquillement s’oublier avec les années pour ne jamais atteindre l’oreille de celui ou celle qui en récolterait un énorme bonheur.

Alors voilà.
Vos démos, vos chansons non-achevées, vos b-sides, vos maquettes, vos brouillons, laissez-les sortir.

L’offre de musique n’a jamais été aussi grande et elle ne le sera jamais trop. À l’ère des méta données et de la musique en continue, il ne s’est jamais écouté autant de musique. La musique est disponible partout. À l’époque du numérique, ça ne coute rien de la mettre à la disposition de tous les paires d’oreilles intéressés. Je ne vous demande pas de graver des CD avec vos maquettes, je vous demande de ne pas les laisser mourir sur un disque dur.

De façon générale, une fois la version « brouillon » pleinement assumée, qu’avez-vous à perdre? Il n’y a pas un geste plus humain que de partager le « work in progress ». Vous ne perdrez pas de fans en mettant vos maquettes à leur disposition. À l’inverse, c’est une excellente stratégie de fidélisation, voire d’acquisition.

Ce n’est pas chose rare dans l’industrie de la musique jazz. À titre d’exemple, en 1969 est paru l’album In a Silent Way de Miles Davis. La musique jazz étant ce qu’elle est  – de l’improvisation  –,  six chansons se retrouvaient sur l’album. 38 ans plus tard, la maison de disque Colombia a décidé de faire un cadeau aux fans en offrant The Complete In a Silent Way Sessions. 17 pièces, dont les sessions mises de côté, les brouillons, les maquettes.

Plus récemment, je suis tombé sur des maquettes du groupe The National, issues de l’enregistrement de l’album Boxer. Je suis un grand fan du groupe, mais le groupe, lui, n’était pas très fan d’apprendre que ses maquettes se retrouvaient sur le web. Au final, j’ai tellement eu de plaisir à les écouter que j’aurais payé le prix d’un album pour y avoir accès. J’ai compris leurs façons de procéder en studio, les différents angles mélodiques qui malheureusement étaient trop éloignés du concept d’album mais qui, à l’extérieur de ce canvas, étaient du bonbon pour les oreilles. Je ne me suis jamais senti aussi proche du groupe. Je pourrais vous faire une liste des artistes à qui j’ouvrirais mon porte-feuille pour entendre des brouillons. (En haut de ma liste vous retrouverez IAM avec l’École du micro d’argent version anglophone.) Parce que ça me rend heureux.

Est-ce aussi intéressant si on débute notre carrière? Bien sûr! J’ai récemment discuté avec une personne dans le début trentaine qui travaille sur son premier album depuis 15 ans. QUINZE ANS. Il n’a jamais rien sorti. Il n’est toujours pas satisfait. En 15 ans de travail, il n’a aujourd’hui aucun fan. Zéro, rien, nada. S’il avait passé par dessus son égo il y a dix ans et qu’il avait commencé à mettre à disposition sa musique, il aurait quelques fans, il aurait appris qui ils sont, comment communiquer avec eux, ce qu’ils aiment de sa musique. Appelons ça une étude de marché et une longue séance de feedback constructif. Il aurait donc évolué en tant qu’artiste beaucoup plus rapidement. Malheureusement, parions que son album ne sortira jamais.

Il est possible de mettre en place plusieurs stratégies marketing et de monétisation avec cette idée. Je caresse le rêve de créer une plateforme dédiée aux « versions 00 » de la musique. Un genre de MySpace uniquement pour les maquettes et les chansons oubliées.

Arrêtez d’attendre la perfection, elle est impossible. Livrez! Mettez votre musique à la disposition de ceux à qui elle fera du bien et voyez où tout ceci vous mènera. Arrêtez d’être si égoïstes, god dammit! Vous n’avez rien à perdre!

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  1. Merci Marc pour tes conseils et ton analyse ! Ça aide beaucoup.
    Ce que dit là, je pense que c’est valable pour n’importe quel art !